Salaires des aides à domicile : les entreprises en attente d’un geste de l’État

L’inflation du prix des carburants et les trois hausses du SMIC en sept mois impactent les revalorisations salariales dans la branche des entreprises de Services à la Personne. Pour Amir Reza-Tofighi, Président de la Fédésap, 1ère fédération nationale des entreprises de Services à la Personne et de proximité, une double intervention de l’État permettrait de débloquer la situation : d’une part, en autorisant ces entreprises à augmenter leurs prix (qui sont encadrés) de 5,8% dès le mois de juin 2022, et, d’autre part, en relevant le tarif plancher de l’APA et la PCH[1] au-delà de 22 euros, afin de limiter le reste à charge des personnes vulnérables.

Le 1er mai, le salaire minimum a augmenté de 2,65%, portant le salaire horaire à 10,85€ contre 10,57€ depuis le 1er janvier dernier, date de la dernière revalorisation. Le SMIC s’établit désormais à 1 645,58 € brut par mois (1 302 € net). Cette troisième augmentation du SMIC en sept mois[2] s’explique par la hausse de l’inflation (qui résulte de la crise sanitaire, la guerre en Ukraine, le renchérissement des prix de l’énergie et de certaines matières premières). Elle n’est qu’une application de la loi, qui prévoit qu’en cours d’année le salaire minimum est revalorisé dès lors que l’indice des prix à la consommation augmente d’au moins 2% par rapport à sa valeur prise en compte lors de sa précédente revalorisation.

Un nouvel arrêté d’encadrement des prix

La hausse du SMIC intervenue le 1er mai porte l’évolution totale du salaire minimum, depuis le 1er octobre 2021, à 5,9%. Selon M. Amir Reza-Tofighi, Président de la Fédésap, les entreprises de Services à la Personne ne peuvent pas l’absorber en prélevant sur leur marge : « quand la marge est de 1 à 3% et la masse salariale représente 80 à 85% du prix de la prestation, une hausse cumulée du SMIC de 5,9% annihile toute marge et au-delà. »

La seule solution serait d’augmenter les prix dans la même proportion, d’anticiper une prochaine hausse de SMIC qui devrait arriver en juillet, tenir compte de l’augmentation des prix à la pompe qui impactent fortement les coûts des entreprises et le pouvoir d’achat des aides à domicile. Ce taux serait de 5,8% pour tenir compte des hausses du SMIC et des prix du carburant.

En dépit du principe de liberté tarifaire, le taux d’évolution maximum des prix des services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) « délivrés par les opérateurs non habilités à intervenir auprès de bénéficiaires de l’aide sociale » (c’est-à-dire les SAAD autorisés) est défini annuellement par un arrêté conjoint des ministres chargés de l’économie et de la santé (art. L. 347-1 du code de l’action sociale et des familles).

Or, ce taux d’augmentation[3], qui est pourtant censé refléter la prise en compte de l’évolution des salaires (et aurait dû, à ce titre, déjà intégrer les hausses du SMIC du 1er octobre et du 1er janvier) ainsi que du coût des services, a été fixé, pour l’exercice 2022, à 3,05% par l’arrêté d’encadrement des prix[4].

Les trois hausses du SMIC étant d’ores et déjà supérieures (5,09%) au taux d’évolution maximum des prix des SAAD privés (3,05%), cela justifie pleinement la prise immédiate d’un arrêté correctif des ministres de l’Économie et de la Santé. De nombreux autres coûts n’ont même pas été intégrés dans le calcul du taux d’augmentation du 1er janvier (mutuelle, taux AT/MP, …).

Si le Gouvernement ne le faisait pas, il aggraverait la situation des aides à domicile du secteur privé, une profession qui souffre déjà d’un manque d’attractivité et subit une pénurie de recrutement, au détriment des personnes les plus fragiles. Une demande sur quatre de personnes âgées en perte d’autonomie ne peut être satisfaite, faute de personnels disponibles, et jusqu’à une demande sur deux en zones rurales.

Le niveau de salaire est le premier levier d’attractivité. Or, les aides à domicile du secteur privé ont été écartées des revalorisations salariales du Ségur de la santé. Elles ont ensuite été oubliées par l’État, qui a agréé l’avenant 43 de la branche de l’aide à domicile du secteur associatif, permettant une hausse des salaires de 13 à 15% pour les aides à domicile employées par des associations, et entièrement financée par les départements.

Les démissions des aides à domicile du privé se sont enchaînées, favorisées en outre par la hausse des prix des carburants. Elles ne veulent pas travailler en s’endettant pour faire le plein.

Un relèvement du tarif national socle de l’APA et la PCH

La prise d’un nouvel arrêté d’encadrement des prix devrait impérativement s’accompagner d’une revalorisation du tarif plancher de l’APA et la PCH, afin de maîtriser le reste à charge des personnes âgées en perte d’autonomie ou personnes en situation de handicap.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 a introduit un tarif minimum applicable aux SAAD habilités et non habilités à l’aide sociale à l’article L. 314-2-1 du code de l’action sociale et des familles. Son montant, qui est fixé chaque année, est de 22€ pour 2022.

Si les SAAD non tarifés étaient autorisés par l’État à relever leurs tarifs à 30 euros de l’heure, par exemple, afin de financer les hausses de salaires des aides à domicile, alors qu’une heure est aujourd’hui facturée 25 à 26 euros, il serait légitime que le tarif plancher de l’APA et la PCH soit relevé de quatre ou cinq euros. Cela permettrait des restes à charge équivalents et soutenables pour les bénéficiaires. Selon un rapport du Sénat sur le financement de la dépendance (avril 2019), le montant de la participation financière moyenne restant à la charge de la personne âgée en perte d’autonomie est de 490 euros par mois, avec de fortes disparités en fonction des situations.

La pénurie et les tensions sur les recrutements sont telles que le nombre de nos concitoyens âgés ou en situation de handicap « sans solution pour leur autonomie » augmente de manière exponentielle. Pas certain que le coût de l’inaction ne se paie pas plus cher en se répercutant sur les services hospitaliers et des placements « forcés » en EHPAD faute de solutions adaptées.

 

[1] : Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA) et Prestation de Compensation du Handicap (PCH)

[2] : 2,2 % le 01/10/21, 0,9 % le 01/01/22 et 2,65 % le 01/05/22

[3] : Le taux d’évolution s’applique aux activités soumises a` autorisation, c’est-a`-dire celles visées a` l’article D.312-6-2 du code de l’action sociale et des familles réalisées sous le mode prestataire.

[4] : Arrêté du 18 décembre 2021 relatif aux prix des prestations de certains services d’aide et d’accompagnement à domicile (JO du 21/12/21)

 

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