L’encadrement des prix des services autonomie ou l’ultime occasion manquée pour faire la révolution salariale pour tous

Paris, le 27 décembre 2021

Tribune d’Amir Reza-Tofighi, Président de la Fédésap

En fixant le taux d’encadrement des prix des services autonomie pour 2022 à 3,05%, le Gouvernement a manqué la dernière occasion de l’année pour permettre aux SAAD privés d’augmenter les salaires de leurs aides à domicile et les aligner sur ceux du secteur associatif. Contrairement aux Ehpad, le secteur privé de l’accompagnement à domicile n’a pas été inclus dans le périmètre des hausses de salaires du Ségur de la santé. Il n’a pas non plus obtenu de contreparties financières à l’agrément par l’État de l’avenant 43 de la branche de l’aide à domicile, qui a permis les revalorisations de 13 à 15% des salaires des employés du secteur associatif. Il ne bénéficiera pas plus, dans les faits, de la dotation « qualité » de trois euros de l’heure, instituée par la loi de financement de sécurité sociale (LFSS) pour 2022 et allouée par les départements aux SAAD répondant à des besoins spécifiques des personnes âgées en situation de dépendance.

Afin d’assurer la continuité des parcours des bénéficiaires de l’APA et la PCH et de se prémunir des départs de leurs aides à domicile vers les associations ou les Ehpad, où les rémunérations sont désormais plus attractives, les SAAD privés ont un besoin urgent d’augmenter leurs tarifs, en 2022, de 17%. Mais l’État schizophrène, qui les a déjà empêché d’accéder à des financements publics supplémentaires, hormis le tarif national plancher de 22 euros de l’heure pour l’Allocation Personnalisée d’Autonomie (APA) et la Prestation de Compensation du Handicap (PCH), instauré par la LFSS 2022, les empêche désormais de relever leurs prix. Dans le même temps, Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée auprès du ministre des Solidarités et de la Santé, chargée de l’Autonomie, ne cesse d’appeler les entreprises à engager un dialogue avec les partenaires sociaux pour augmenter les salaires. Cherchez l’erreur…

Espérons que cette tragédie en trois actes connaîtra, en 2022, un dénouement qui placera enfin l’autonomie au cœur des priorités politiques du prochain quinquennat, au même titre que la sécurité et l’écologie. La perte d’autonomie ne doit plus être pensée comme un fardeau, mais comme une étape normale de la vie et un investissement d’avenir.    

1er ACTE : le secteur privé de l’aide à domicile, grand oublié des politiques publiques

Lors de son allocution aux Français, le 9 novembre, le Chef de l’État a assuré que « d’ici au 1er janvier, les professions du soin et de l’aide à domicile auront vu leurs salaires revalorisés ». Mais, les discours sont bien éloignés de la réalité.

L’État n’a pas permis l’augmentation de tous les salaires des professionnels du domicile, contrairement à ce qu’il a fait pour les Ehpad avec le Ségur de la Santé. Rappelons que les accords du Ségur ont acté une hausse de salaire de 183 euros nets par mois pour les personnels des Ehpad publics et privés associatifs, et de 160 euros nets par mois pour les Ehpad privés. Cette hausse est prise en charge financièrement par les pouvoirs publics.

Pour les métiers du domicile, l’État a agréé l’avenant 43 à la convention collective de la branche de l’aide à domicile. Cela a eu pour conséquence l’augmentation de 13 à 15% des salaires des 220 000 collaborateurs du secteur associatif, financée par les deniers publics. Mais les 160 000 aides à domicile du secteur privé, couverts par la branche professionnelle des Services à la Personne, ont été laissés au bord de la route.

Avec la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2022, l’État a de nouveau raté l’occasion de permettre la revalorisation des salaires des aides à domicile du privé.

2ème ACTE : la LFSS pour 2022, une occasion manquée

Pour solvabiliser les Services d’Aide et d’Accompagnement à Domicile (SAAD), la LFSS pour 2022 a instauré un tarif national plancher de 22 euros pour l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) et la prestation de compensation du handicap (PCH). Il s’agit d’une avancée indéniable, demandée par les acteurs et les experts depuis des années. Ce tarif socle mettra fin aux inégalités territoriales, puisque les Conseils départementaux fixaient jusqu’à présent librement les tarifs de référence pour l’APA et la PCH. Désormais, le tarif départemental ne pourra être inférieur à 22 euros.

La LFSS prévoit également une dotation complémentaire « qualité » de 3 euros pour les SAAD réalisant des prestations améliorant la qualité du service rendu à l’usager : accompagner des personnes dont le profil de prise en charge présente des spécificités, intervenir sur une grande amplitude horaire, accompagner des bénéficiaires dans des territoires reculés, etc.

Si, avec ce dispositif, le Gouvernement a vanté une tarification désormais de 25 euros, soit le coût de revient horaire d’une prestation à domicile, en réalité, les SAAD privés seront écartés de cette dotation « bonus ». Non seulement son versement est soumis à la conclusion d’un Contrat Pluri-annuel d’Objectifs et de Moyens (CPOM) avec le département, qui peut refuser de contractualiser, mais aussi l’État a provisionné seulement 60 millions d’euros pour 2022, une « paille » au regard des besoins considérables.

Les SAAD privés se trouvent donc confrontés à une fuite de leurs talents vers les Ehpad et, depuis le 1er octobre, avec l’entrée en vigueur de l’avenant 43, vers les associations, où les salaires sont désormais plus élevés. Pour juguler ce qui risque de devenir rapidement une hémorragie, les SAAD privés doivent impérativement trouver des ressources complémentaires afin d’aligner les salaires de leurs auxiliaires de vie sur ceux du secteur associatif. Soit ils bénéficient, comme les Ehpad ou les associations, de financements publics complémentaires, soit ils sollicitent – faute de mieux – les restes à charge des bénéficiaires de l’APA-PCH.

3ème ACTE : un secteur privé « privé » de ressources financières

Lorsque Mme Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l’Autonomie, lance, lors de la présentation du PLFSS 2022, que « le dialogue social peut donc s’ouvrir pour utiliser l’augmentation du financement de l’intervention horaire, avec la mise en place du tarif national à 22 euros, à la revalorisation des salaires » des aides à domicile du secteur privé, elle est en pleine opération de communication.

Car Mme Bourguignon sait mieux que quiconque que pour parvenir à une autonomie de qualité pour nos aînés et nos concitoyens en situation de handicap, il faut des ressources financières.

Des ressources financières à affecter à l’augmentation des plans d’aide. Car il ne sert à rien d’augmenter la prise en charge horaire par un tarif national si, dans le même temps, les plafonds

des plans d’aides n’évoluent pas. Allouer plus d’heures dans les plans d’aides à domicile permettra un accompagnement de plus grande qualité pour les bénéficiaires, une meilleure rémunération pour les auxiliaires de vie et davantage de répit pour les proches aidants.

Des ressources financières pour favoriser l’accès aux services d’aide au plus grand nombre de personnes vulnérables. Cela passe par une meilleure maîtrise des restes à charge.

Des ressources financières, enfin, pour financer la revalorisation salariale des professionnels du domicile du secteur privé. Faute d’une tarification de 25 euros financée par les deniers publics (tarif national socle à 25 euros ou dotation qualité de 3 euros accordée à toutes les structures, qui s’ajoute au tarif plancher de 22 euros), les SAAD privés ne peuvent qu’envisager une hausse de leurs prix de 17% pour aligner les salaires de leurs aides à domicile sur le niveau de ceux du secteur associatif.

Ce taux de 17% peut paraître exorbitant, mais il correspond non seulement à la prise en compte de l’augmentation du SMIC en 2021 et 2022, qui entraîne une hausse de la masse salariale de 3,12% en 2022, mais aussi et surtout aux trois euros de l’heure manquants pour qu’une tarification à 25 euros de l’heure soit réellement mise en œuvre.

Toutefois, en dépit du principe de liberté tarifaire, l’évolution annuelle des prix des prestations des SAAD privés est plafonnée par un taux d’augmentation défini par un arrêté pris par les ministres des finances et en charge de l’autonomie (art. L. 347-1 du code de l’action sociale et des familles). Et ce taux d’augmentation, pourtant censé refléter la prise en compte de l’évolution des salaires et des coûts de fonctionnement des structures, ne fluctue qu’avec modération. Ainsi, pour l’exercice 2022, l’arrêté d’encadrement des prix a fixé à 3,05% le taux maximum d’augmentation. Cela est notoirement insuffisant. Pour 2022, la seule augmentation des coûts structurels des SAAD privés s’élèvent à 9,4%…

Or, le principe même de l’encadrement des prix n’a pas de sens pour les SAAD.

Il s’agit d’un instrument de gestion qui a été pensé pour maîtriser l’évolution des tarifs des Ehpad, parce que les publics accueillis en établissements sont plus ou moins « captifs ». En général, une personne âgée dépendante ne va pas changer d’Ehpad, parce qu’elle juge que le prix restant à sa charge est trop élevé… En revanche, la situation est inverse pour les personnes âgées en perte d’autonomie ou en situation de handicap vivant à leur domicile. Le bénéficiaire reste libre de rompre son contrat à tout moment avec le SAAD et n’a aucun mal à retrouver une autre structure pour l’accompagner.

C’est pourquoi la Fédésap a demandé à l’État – sans succès – que les SAAD privés s’affranchissent, au moins pour l’exercice 2022, de l’arrêté d’encadrement des tarifs. L’enjeu est à la fois d’assurer la continuité de la prise en charge des personnes vulnérables, et, dans un contexte où il est de plus en plus difficile de recruter, de fidéliser les salariés.

Dénouement : faire de l’autonomie une priorité politique au même titre que la sécurité et l’écologie

Depuis le début du quinquennat, même si des avancées importantes ont été obtenues, comme la création de la 5ème branche de la sécurité sociale, le tarif national plancher, des efforts pour les revalorisations salariales…, la politique de l’autonomie a trop fait l’objet de demi-mesures, d’ajustements, en bref d’un manque d’ambition, qui s’est illustré par le report à au moins cinq reprises de la « grande loi » sur l’autonomie.

L’ajournement répétitif d’Emmanuel Macron est lié à sa conviction qu’il faut lier réforme des retraites et réforme de l’autonomie, pour que la première finance la seconde. En tout cas, cela confirme que le chantier de l’autonomie devra être de ceux à faire passer avec l’élan de l’élection présidentielle, quel que soit son gagnant (ou sa gagnante), et donc dans la première année du prochain quinquennat. Il faudra aussi que la loi sur l’autonomie soit transgénérationnelle, c’est-à-dire qu’elle lie les jeunes générations avec les plus anciennes, dans une sorte de contrat ou de pacte où les plus jeunes s’engagent pour leurs aînés, comme le projet de loi avorté, intitulé de manière prémonitoire « Générations solidaires », avait l’ambition de le faire.

Les objectifs de la prochaine majorité présidentielle pour une grande loi sur l’autonomie, qui anticipe les conséquences du vieillissement sur notre société, devront être les suivants :

  • Refondre le système de prise en charge de l’autonomie en créant une prestation universelle autonomie sur les mêmes principes que la branche « santé » ;
  • Mettre en place un « Ségur de l’Autonomie » et arrêter de prendre des mesures financières au fil de l’eau, avec des visées électoralistes conduisant à privilégier certaines catégories de personnels plutôt que d’autres ;
  • Disposer d’une offre homogène sur tout le territoire et anticiper le développement d’une infrastructure capable de répondre au choc démographique du vieillissement de 2030, avec notamment la fin du numerus clausus généré par les appels à projets pour la demande d’une autorisation ;
  • S’engager à revaloriser annuellement le tarif national socle APA et PCH, pour prendre en compte l’augmentation annuelle des coûts ;
  • Financer sur le long terme la 5ème branche pour éviter les arbitrages d’opportunité en faveur d’EHPAD, avec les lits « vides » et des SAAD générant des files d’attente.

Et cessons de lancer l’anathème contre les SAAD privés. Il est faux de dire que le secteur privé ne souhaite pas revaloriser les salaires : il en est privé. Il est faux de prétendre qu’il veut augmenter ses tarifs à tout prix : il est privé de faire autrement. Il est faux de laisser croire que le secteur privé n’intervient pas en milieu rural : il est privé de s’y développer.

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