Loin des louanges les plus entendues et suite à une attentive analyse du rapport Libault, la Fédésap pointe les insuffisances et les ambiguïtés des propositions faites à la Ministre de la Santé, qui pourraient constituer la colonne vertébrale de la future loi Grand Âge et Autonomie attendue pour le mois d’octobre.
175 propositions, mais pour quelle politique du vieillissement demain ?
Au-delà de la satisfaction d’avoir été entendue sur la nécessité d’harmoniser les pratiques tarifaires des départements dans le cadre de l’APA et la PCH par la mise en place d’une tarification nationale, une analyse des propositions laisse craindre à la Fédésap que le changement en profondeur plébiscité par nos concitoyens ne soit qu’un miroir aux alouettes pour les acteurs du Domicile.
En proposant un soutien financier de 550 M€[1] pour les SAAD, le rapport semble ignorer que l’APA et la PCH sont des allocations visant à financer les besoins des personnes et non le modèle économique des SAAD.
Cette nouvelle enveloppe viendra certes diminuer très légèrement les restes à charge des bénéficiaires, mais en imposant des contreparties financières malheureusement intenables pour les SAAD qui peinent à recruter et fidéliser : indemnités kilométriques, véhicules de services, formation obligatoire …
Une méconnaissance totale des problématiques des SAAD[2]
Cette nouvelle injonction, formelle cette fois-ci, reproduira mécaniquement l’équation bien connue des milliers de SAAD. La masse salariale des professionnel(le)s de l’aide et l’accompagnement à domicile restera, in fine, la seule variable d’ajustement permettant la réalisation d’une équation restée insoluble depuis la loi ASV[3] : faire mieux pour plus de personnes à iso périmètre financier.
Dans cette perspective, la préconisation d’une tarification de référence nationale APA à 21 €, combinée à une éventuellement majoration de 3 € par heure réservée aux seuls SAAD habilités à l’aide sociale, apparaît non seulement déconnectée de la réalité économique des SAAD, mais va encore accentuer les inégalités de traitements dans les territoires, tant vis a vis des personnes âgées que des SAAD. Qui plus est, la fixation de ce tarif à 21 € est dénuée de tout sens, le ministère de la Cohésion Sociale et de la Santé estimant lui-même que le coût d’une heure d’intervention est a minima supérieur a 24 €. Quelle est donc la réelle intention du rapport Libault en proposant un tarif nettement inférieur ?
De plus, laisser croire que les SAAD pourront bénéficier d’un complément de tarif de 3 € est une « tromperie ». En réalité, seuls un ou deux SAAD par département seront habilités à l’aide sociale, car à ce jour les demandes d’habilitation sont quasiment toutes refusées par ces derniers. Pour la Fédésap, le véritable tarif de référence de l’APA et de la PCH prenant en compte l’intégralité des coûts permettant de valoriser les salaires et d’assurer une offre de qualité se situe à minima à 30 € HT par heure de prestation[4].
Ainsi, au même titre que les EHPAD bénéficient d’un financement « de leurs murs », considérant ainsi que ces investissements sont indispensables au bon fonctionnement du service, il semble indispensable que les déplacements des aides à domicile puissent pris en compte dans le cadre d’un financement dédié.
Une occasion manquée de faire des SAAD, les acteurs centraux de la coordination des parcours de vie des personnes âgées
En enjoignant le Gouvernement par des incantations domiciliaires souvent cosmétiques, le rapport semble favoriser le maintien à domicile. Mais à sa lecture, plus de 75% des propositions de financement le sont en faveur des EHPAD et n’invitent pas au « fameux » décloisonnement sanitaire – médico-social. La majorité des mesures s’inscrivant dans ce cadre ont comme objectif de financer une approche « sanitaire » de la personne âgée au détriment d’une approche de coordination efficiente et bienveillante, assurée par les SAAD.
La Fédésap regrette que sa proposition d’ajout d’un financement des obligations de service public assurées par les SAAD n’ait pas été retenue. Ce financement permettrait de financer une vraie politique de structuration de l’offre de service : prévention, formation, numérique, coordination, aide aux aidants …
Une vision plus inclusive de la société : la grande absente des préconisations !
Le rapport manque le virage de la société inclusive. Au lieu d’intégrer de manière similaire et équitable à la politique d’autonomie, les personnes en situation de handicap et les personnes âgées dépendantes, le rapport maintient les silos existant entre ces deux mondes et laissant de côté la dimension « handicap » au profit de l’approche « Grand Âge ».
Enfin, le rapport préconise de ne pas descendre en dessous d’interventions de 15 minutes (ce qui est globalement déjà le cas sur les territoires) ; une vraie avancée aurait été de préconiser des interventions a minima d’une heure.
Comme le disait Sacha Guitry, « plaire à tout le monde, c’est plaire à n’importe qui ». Ainsi, le rapport renvoie-t-il de manière incantatoire, la volonté d’un changement en profondeur de notre système d’accompagnement de nos aînés à une série de mesures dont il est difficile de dessiner les contours d’une future loi ambitieuse et efficiente centrée sur le souhait des Français de bien vieillir à domicile.
En définitive ce rapport ne fait que renforcer l’existant, conduisant inéluctablement à plus d’iniquité de traitement, à accroître une réponse d’offre de services domiciliaire administrée inadaptée depuis 2002.
Rappel des propositions portées par la Fédésap dans le cadre du rapport Libault :
– La mise en place d’une tarification de référence nationale APA et PCH de 30 € par heure HT, décomposée comme suit :
21 € par heure au titre du financement de la demande et 9 € par heure au titre du financement de l’offre et des obligations de services publics avec un mécanisme de revalorisation annuelle automatique ;
– Une prise en charge forfaitaire des déplacements à hauteur de 15 % du prix d’une heure d’APA et de PCH afin de limiter la politique de fractionnement des plans d’aide et revaloriser les salaires ;
– Un forfait de coordination et accompagnement des équipes de 70 à 100 € HT par mois et par bénéficiaire ;
– Un financement d’1,7 Mds € pour la transformation de l’offre à Domicile ;
– Une mensualisation du crédit d’impôt dans sa forme actuelle pour l’ensemble des publics et des activités afin de favoriser l’accès aux paniers de services et développer une vraie politique de prévention.
______________________________
[1] Proposition n°38 du rapport Libault
[2] SAAD : Service d’Aide et d’Accompagnement à Domicile
[3] Loi ASV : loi d’Adaptation de la Société au Vieillissement (29 décembre 2015)
[4] Note technique Fédésap sur l’évaluation d’une heure d’APA à domicile – groupe de travail « tarification des SAAD » DGCS – CNSA (mars 2019)